Ego
Posté : 02 juin 2012, 22:07
Bonsoir à tous,
Je viens d'arriver sur ce forum, et il me faut donc me présenter. J'ai 25 ans, je vis à Nice, et j'ai été diagnostiqué Asperger il y a quelques mois par le CRA local. Je suis informaticien aux Pupilles de l'Enseignement Public de mon département, association que certains connaissent peut-être. J'ai décroché ce poste au même moment que mon diagnostic ; une de ces coïncidences qui n'en sont pas. SAtedI m'a été recommandée par la psychiatre que j'ai rencontrée. Auparavant, je suis passé par les forums d'Asperger Aide, qui ne m'ont été recommandés par personne, et dont je garde un souvenir assez négatif, entre « théories » fumeuses* et mentalité fermée.
Lorsque que fais le constat de ce qu'est ma vie, je me dis que j'ai la chance de m'en sortir plutôt bien. Les handicaps liés à Asperger sont réels et quotidiens, mais j'ai eu la chance de pouvoir apprendre à les gérer, en partie grâce à moi, en partie grâce à quelques autres, dont ma mère et mon compagnon font partie. Pour autant, rien n'est évident.
Je pense que si je choisis de m'inscrire sur ce forum, c'est pour tenter de m'affranchir un peu de cette solitude intellectuelle qui, parfois, me pèse tant. Dans mon cas — je ne sais pas si c'est vrai pour tout le monde — l'autisme ressemble vraiment à un mur. Il y a une rupture, franche et douloureuse, entre ce que j'expérimente à l'intérieur de moi et le monde extérieur. Mes évidences n'en sont pas pour les autres. Mes agacements n'ont pas de motif à l'extérieur de moi. Les mots me manquent souvent, pour exprimer des choses que, par ailleurs, je comprends parfaitement. Mon « perfectionnisme », qui est toujours motivé et argumenté, est reçu comme une fantaisie, notamment dans mon travail. Entre moi et les autres, quelque chose ne passe pas — et réciproquement.
Je vis en couple avec un être improbable; je ne sais même pas s'il y en a deux comme lui. Notre différence d'âge fait qu'il mourra très certainement avant moi; j'ignore comment lui dire que ça me terrifie. Ce doit être le prix du bonheur. — — — Passons.
En-dehors de tout ce bazar émotif, je peux ajouter que j'ai divers centres d'intérêt sur lesquels je serais ravi que d'autres me rejoignent.
1. L'informatique, en premier lieu, qui est une sorte de drogue dure dans laquelle je suis tombé à 7 ans. Je n'aime pas les jeux vidéos, ni les geekeries habituelles. J'aime l'informatique théorique et concrète, celle qui allie cohérence et simplicité. J'aime la beauté d'une architecture logicielle, la joie d'une machine qui tourne rond, l'efficacité des réseaux bien pensés. La négligence m'est insupportable, dans ce domaine comme dans tous les autres — et c'est un réel problème. Avec le temps, j'ai appris à ne pas y réagir de manière violente ou colérique; je sais qu'il y a une différence entre moi et les autres, et qu'ils sont aussi légitimes que je le suis. Je prends sur moi. Again.
2. La linguistique ensuite. J'ai été — c'est moins vrai aujourd'hui — un conlanger, c'est-à-dire quelqu'un qui fabrique des langues. J'ai épluché les grammaires de nombreuses langues (latines, grec, chinois, japonais, hébreu, hongrois...) sans jamais avoir l'objectif de les parler. Autant le dire tout de suite: c'est absurde. J'ai toujours été fasciné par les outils dont l'humain s'est doté pour parvenir à dire ce qui, en soi, est indicible. J'ai cessé de consacrer mon temps à la création de ma langue artificielle lorsque j'ai compris que personne d'autre que moi ne la parlerait jamais. À ce propos, j'ai remarqué qu'Emmanuël, que je ne connais pas encore, avait créé un wiki dédié à la langue mongole, site admirablement bien fourni notamment en matière de grammaire. Je le lui aurais bien dit si j'avais pu envoyer un message privé — ce qui m'est interdit compte-tenu de ma jeunesse sur ce forum.
3. L'indicible m'amène à la philosophie, qui fut l'une des mes passions entre 18 et 23 ans. L'indicible selon Platon, l'indicible selon Kant, ou ce satané Heidegger (« dasein, dasein »)... J'ai à peu près fait le tour de ce que cette discipline pouvait m'apporter. Notre époque ayant le terrible privilège d'être la seule à être dépourvue de sang neuf, mes compagnons de voyage se réduisent à d'illustres momies, pour lesquelles j'ai la plus grande révérence: principalement Héraclite, Aristote, Bergson, Nietzsche et Kierkegaard. Si quelqu'un, ici, se sent des affinités, qu'il n'hésite pas à me le dire! Il est quasi-impossible, aujourd'hui, d'avoir un échange autour de ces philosophes, soit parce que personne ne les connaît, soit parce que ceux qui les ont lus n'y ont rien compris.
4. La métaphysique. Si elle est historiquement une branche de la philosophie, elle s'en est détachée depuis bien longtemps, pour le plus grand malheur de cette-dernière. Je ne suis pas religieux, ni athée, ni-même déiste. Je remarque simplement qu'il y a des patterns dans le réel ; quelque chose qui le structure, et que j'aimerais comprendre. Le peu de compréhension que nous en avions s'est drôlement dissout. Privilège de notre merveilleuse époque, one more.
5. Musique! « Ohne Musik wäre das Leben ein Irrtum. » (« Sans la musique, la vie serait une erreur. ») — comme le disait si bien Friedrich! De toute manière, on écoute ce qu'on est. Je suppose qu'Asperger explique en bonne partie mon intérêt pour le bon trip-hop, qui est une musique généralement monotone et répétitive, parfois à base de samples, et pour Bach. Ca explique moins mon intérêt pour Purcell et Beethoven. J'aimerais d'ailleurs avoir le retour de quelques-uns d'entre-vous sur cet intérêt pour le trip-hop, histoire de savoir si ça n'est dû qu'à moi ou à ce handicap que nous avons en commun. Deux chansons que je trouve vraiment réussies: So few Words (sublime à partir de 3:30) & le titre éponyme, avec son côté sirène apocalyptique. Je vous aurais bien mis des Live, mais l'arrangement ne me plaît pas. Mon expérience personnelle me fait dire qu'il vaut mieux les écouter seul, et au casque (ou aux écouteurs). Si quelqu'un avait un coup de cœur, qu'il sache que l'album s'appelle Londinium, et que c'est l'un des meilleurs albums de trip-hop jamais réalisés. Les textes valent aussi le détour.
J'ajoute à part la poésie, parce que mon intérêt est limité à Shakespeare, Dylan Thomas, Geoffrey Chaucer ainsi qu'aux dernières œuvres de Rimbaud (notamment Une saison en Enfer). On ne peut pas dire que j'aie un amour démesuré pour cette forme d'expression, mais je trouve que ces auteurs-là ont accouché de pures merveilles.
Voilà une présentation bien longue. J'ai parcouru un peu le forum, et ma foi, l'ambiance qui y règne me semble très amicale. J'espère, sans trop y croire, y faire des rencontres intéressantes. Ne voyez aucun mépris dans mon manque d'entrain: j'ai un profond respect, ainsi qu'une forme d'envie, pour ceux qui ne ressentent pas le besoin de partager mes préoccupations, très coûteuses en temps et souvent stériles. Quoi qu'il en soit, nous verrons bien!
En attendant, je vous souhaite à tous une très bonne soirée,
Marin.
_______________________
* Cf. l'excellent article de votre site sur les pseudo-sciences et les critères de scientificité.
Je viens d'arriver sur ce forum, et il me faut donc me présenter. J'ai 25 ans, je vis à Nice, et j'ai été diagnostiqué Asperger il y a quelques mois par le CRA local. Je suis informaticien aux Pupilles de l'Enseignement Public de mon département, association que certains connaissent peut-être. J'ai décroché ce poste au même moment que mon diagnostic ; une de ces coïncidences qui n'en sont pas. SAtedI m'a été recommandée par la psychiatre que j'ai rencontrée. Auparavant, je suis passé par les forums d'Asperger Aide, qui ne m'ont été recommandés par personne, et dont je garde un souvenir assez négatif, entre « théories » fumeuses* et mentalité fermée.
Lorsque que fais le constat de ce qu'est ma vie, je me dis que j'ai la chance de m'en sortir plutôt bien. Les handicaps liés à Asperger sont réels et quotidiens, mais j'ai eu la chance de pouvoir apprendre à les gérer, en partie grâce à moi, en partie grâce à quelques autres, dont ma mère et mon compagnon font partie. Pour autant, rien n'est évident.
Je pense que si je choisis de m'inscrire sur ce forum, c'est pour tenter de m'affranchir un peu de cette solitude intellectuelle qui, parfois, me pèse tant. Dans mon cas — je ne sais pas si c'est vrai pour tout le monde — l'autisme ressemble vraiment à un mur. Il y a une rupture, franche et douloureuse, entre ce que j'expérimente à l'intérieur de moi et le monde extérieur. Mes évidences n'en sont pas pour les autres. Mes agacements n'ont pas de motif à l'extérieur de moi. Les mots me manquent souvent, pour exprimer des choses que, par ailleurs, je comprends parfaitement. Mon « perfectionnisme », qui est toujours motivé et argumenté, est reçu comme une fantaisie, notamment dans mon travail. Entre moi et les autres, quelque chose ne passe pas — et réciproquement.
Je vis en couple avec un être improbable; je ne sais même pas s'il y en a deux comme lui. Notre différence d'âge fait qu'il mourra très certainement avant moi; j'ignore comment lui dire que ça me terrifie. Ce doit être le prix du bonheur. — — — Passons.
En-dehors de tout ce bazar émotif, je peux ajouter que j'ai divers centres d'intérêt sur lesquels je serais ravi que d'autres me rejoignent.
1. L'informatique, en premier lieu, qui est une sorte de drogue dure dans laquelle je suis tombé à 7 ans. Je n'aime pas les jeux vidéos, ni les geekeries habituelles. J'aime l'informatique théorique et concrète, celle qui allie cohérence et simplicité. J'aime la beauté d'une architecture logicielle, la joie d'une machine qui tourne rond, l'efficacité des réseaux bien pensés. La négligence m'est insupportable, dans ce domaine comme dans tous les autres — et c'est un réel problème. Avec le temps, j'ai appris à ne pas y réagir de manière violente ou colérique; je sais qu'il y a une différence entre moi et les autres, et qu'ils sont aussi légitimes que je le suis. Je prends sur moi. Again.
2. La linguistique ensuite. J'ai été — c'est moins vrai aujourd'hui — un conlanger, c'est-à-dire quelqu'un qui fabrique des langues. J'ai épluché les grammaires de nombreuses langues (latines, grec, chinois, japonais, hébreu, hongrois...) sans jamais avoir l'objectif de les parler. Autant le dire tout de suite: c'est absurde. J'ai toujours été fasciné par les outils dont l'humain s'est doté pour parvenir à dire ce qui, en soi, est indicible. J'ai cessé de consacrer mon temps à la création de ma langue artificielle lorsque j'ai compris que personne d'autre que moi ne la parlerait jamais. À ce propos, j'ai remarqué qu'Emmanuël, que je ne connais pas encore, avait créé un wiki dédié à la langue mongole, site admirablement bien fourni notamment en matière de grammaire. Je le lui aurais bien dit si j'avais pu envoyer un message privé — ce qui m'est interdit compte-tenu de ma jeunesse sur ce forum.
3. L'indicible m'amène à la philosophie, qui fut l'une des mes passions entre 18 et 23 ans. L'indicible selon Platon, l'indicible selon Kant, ou ce satané Heidegger (« dasein, dasein »)... J'ai à peu près fait le tour de ce que cette discipline pouvait m'apporter. Notre époque ayant le terrible privilège d'être la seule à être dépourvue de sang neuf, mes compagnons de voyage se réduisent à d'illustres momies, pour lesquelles j'ai la plus grande révérence: principalement Héraclite, Aristote, Bergson, Nietzsche et Kierkegaard. Si quelqu'un, ici, se sent des affinités, qu'il n'hésite pas à me le dire! Il est quasi-impossible, aujourd'hui, d'avoir un échange autour de ces philosophes, soit parce que personne ne les connaît, soit parce que ceux qui les ont lus n'y ont rien compris.
4. La métaphysique. Si elle est historiquement une branche de la philosophie, elle s'en est détachée depuis bien longtemps, pour le plus grand malheur de cette-dernière. Je ne suis pas religieux, ni athée, ni-même déiste. Je remarque simplement qu'il y a des patterns dans le réel ; quelque chose qui le structure, et que j'aimerais comprendre. Le peu de compréhension que nous en avions s'est drôlement dissout. Privilège de notre merveilleuse époque, one more.
5. Musique! « Ohne Musik wäre das Leben ein Irrtum. » (« Sans la musique, la vie serait une erreur. ») — comme le disait si bien Friedrich! De toute manière, on écoute ce qu'on est. Je suppose qu'Asperger explique en bonne partie mon intérêt pour le bon trip-hop, qui est une musique généralement monotone et répétitive, parfois à base de samples, et pour Bach. Ca explique moins mon intérêt pour Purcell et Beethoven. J'aimerais d'ailleurs avoir le retour de quelques-uns d'entre-vous sur cet intérêt pour le trip-hop, histoire de savoir si ça n'est dû qu'à moi ou à ce handicap que nous avons en commun. Deux chansons que je trouve vraiment réussies: So few Words (sublime à partir de 3:30) & le titre éponyme, avec son côté sirène apocalyptique. Je vous aurais bien mis des Live, mais l'arrangement ne me plaît pas. Mon expérience personnelle me fait dire qu'il vaut mieux les écouter seul, et au casque (ou aux écouteurs). Si quelqu'un avait un coup de cœur, qu'il sache que l'album s'appelle Londinium, et que c'est l'un des meilleurs albums de trip-hop jamais réalisés. Les textes valent aussi le détour.
J'ajoute à part la poésie, parce que mon intérêt est limité à Shakespeare, Dylan Thomas, Geoffrey Chaucer ainsi qu'aux dernières œuvres de Rimbaud (notamment Une saison en Enfer). On ne peut pas dire que j'aie un amour démesuré pour cette forme d'expression, mais je trouve que ces auteurs-là ont accouché de pures merveilles.
Voilà une présentation bien longue. J'ai parcouru un peu le forum, et ma foi, l'ambiance qui y règne me semble très amicale. J'espère, sans trop y croire, y faire des rencontres intéressantes. Ne voyez aucun mépris dans mon manque d'entrain: j'ai un profond respect, ainsi qu'une forme d'envie, pour ceux qui ne ressentent pas le besoin de partager mes préoccupations, très coûteuses en temps et souvent stériles. Quoi qu'il en soit, nous verrons bien!
En attendant, je vous souhaite à tous une très bonne soirée,
Marin.
_______________________
* Cf. l'excellent article de votre site sur les pseudo-sciences et les critères de scientificité.