Depuis quelques temps apparaissent des reportages étranges, théoriquement consacrés à l'autisme, et qui axent leurs problématiques autours de phénomènes qui ne relèvent pas, à proprement parler, de l'autisme. La multiplication de ce type de reportages commence à sévèrement m'agacer, et je voudrais avoir votre avis sur la question. Le point commun de tous ces reportages, c'est qu'ils nomment « autisme » des états pathologiques qui n'ont rien d'inné, et tout de l'acquis.
Reportages
Le premier reportage que j'ai vu concernait les cas de plusieurs enfants, présentés comme autistes, que l'on a réussi à « guérir » au moyen d'un traitement antibiotique. L'on apprend au cours du reportage que leur état était dû à un stade avancé de la maladie de Lyme. Je rappelle que cette maladie est causée par une bactérie, transmise par divers parasites de type tiques. En l'absence de traitement, des complications neurologiques finissent par apparaître et par causer des symptômes proches de ceux de l'autisme (hypersensibilité sensorielle, altération du langage, fascination passive pour certains phénomènes, etc.). Après un traitement approprié, les enfants « autistes » redevenaient eux-mêmes, justifiant ainsi le titre provocateur du reportage: « un espoir pour l'autisme ».
Le second reportage (Arte, 16 juin dernier) présentait l'autisme comme une menace sérieuse pour la santé publique, en invoquant une explosion des cas d'autisme au cours des dernières décennies, qui ne saurait être expliquée seulement par l'amélioration des diagnostics. Le reportage avançait la piste d'une cause environnementale (bactérienne), parce que cette explosion de cas aurait principalempent lieu dans les classes sociales les plus défavorisées, et notamment celle des migrants en provenance d'Afrique. Là encore, une mère témoigne: « Au début, tout allait bien, puis vers l'âge de X il a cessé de communiquer et s'est replié sur lui-même. » Témoignage qui entre en contradiction frontale avec l'hypothèse d'une origine génétique de l'autisme. Luc Montagnier dirige un des rares groupes d'étude dédiés à la mise en évidence de causes bactériennes de l'autisme (hypothèse impliquant des neurotoxines d'origine intestinale). Dans l'interview qui accompagne le reportage d'Arte, qui ne fait la promotion que de cette seule théorie, le professeur cite l'augmentation du nombre de vaccins et des rayonnements électromagnétiques comme autant de causes potentielles de l'autisme. Soit.
Objections
J'ai toujours eu la sensation que le plus gros défi de l'autisme, c'est qu'il est toujours appréhendé de l'extérieur. Ce que les gens voient, ce sont les symptômes, pas ce qui les sous-tend. Réduire l'autisme à ses symptômes, cela revient à passer à côté de ce qui constitue le coeur de ce handicap. Le caractère intérieur de l'autisme le rend extrêmement difficile à cerner et à comprendre. Pour un scientifique, la tentation peut être grande de ne pas s'aventurer au-delà du visible, et de ne définir l'autisme qu'à l'aulne de ses symptômes. C'est pourtant une erreur, et cela mène à ce type de reportages, avec des Luc Montagnier en tête de gondole en guise de caution. Pour bien montrer le choix délibéré de la confusion, je cite M. Montagnier:
Cette confusion volontaire entre autisme typique et autisme régressif ramène l'autisme au rang d'une pathologie, au-même titre que toute autre maladie. Comme toute pathologie, l'autisme devient alors « guérissable », comme le dit sans détour Luc Montagnier:Luc Montagnier a écrit :À l'origine, l'autisme était décrit juste après la naissance, parce que c'est quelque chose qu'on détecte tout de suite chez l'enfant nouveau-né. Mais il existe maintenant une forme plus fréquente, qui est ce qu'on appelle l'autisme régressif, c'est-à-dire qu'au bout de deux ans, trois ans, l'enfant était normal et bruquement il entre dans l'autisme. Il a des problèmes de communication avec ses parents, et notamment avec la mère*. Donc cette forme est plus fréquente à l'heure actuelle, et c'est celle-ci peut-être qui est plus facile à traiter que les autres formes d'autisme.
Il a fallu des décennies d'éducation et de communication pour parvenir à extraire quelques rares médecins du carcan psychanalytique. Mais enfin, la dynamique semble être en marche. Et voici qu'à nouveau, la réalité de l'autisme est niée d'une autre manière, sans aucune certitude scientifique, par des individus au prestige surévalué qui commencent à flairer le pactole. Un peu comme le SIDA quoi. Car ne nous y trompons pas, l'autisme, ça commence à devenir bankable, et ça attire bien des ambitieux. D'ailleurs, M. Montagnier est vraiment un génie interplanétaire, car:Luc Montagnier a écrit :Nous avons un certain nombre de résultats chez ces enfants autistes, puisque nous faisons disparaître les symptômes de l'autisme. (...) Donc c'est un message d'espoir qu'on peut donner aux parents: est-ce que l'autisme est incurable ? Non, il n'est pas incurable. Il s'agit pour nous de trouver les facteurs et de les traiter.
Et toc! Le tout annoncé sans les précautions d'usage; après tout, il fait un reportage, il ne publie pas dans Nature. Cette légèreté me révolte.Luc Montagnier a écrit :On peut transposer la théorie dont j'ai parlé pour l'autisme à des maladies qui atteignent des sujets adultes comme la maladie d'Alzheimer ou la maladie de Parkinson.
Je ne nie pas pour autant la réalité des cas cités par ces reportages et leur cortège d'études. Je pense simplement que leur caractérisation en tant que cas d'autisme est fausse. L'autisme régressif n'a d'autisme que le nom et quelques symptômes. La proximité s'arrête là. D'ailleurs, il ne fait pas partie de la catégorie des TSA. Au contraire de son corollaire dit régressif, l'autisme « véritable » (puisqu'on en est réduit à l'appeler comme ça) est irréversible et implique des différences neuro-anatomiques qui font partie intégrante de la personne qui en est porteuse. Je vais dire une évidence, mais on ne guérit pas de soi-même. L. Montagnier le concède d'ailleurs bien volontiers quand il fait la distinction entre les deux variantes de l'autisme, dont seule la seconde est curable. Je suis le premier à me réjouir de la guérison des enfants dont parlent ces reportages. C'est incontestablement une victoire sur la maladie, et je la salue comme il se doit. Mais je pense qu'il ne faut pas non plus oublier ceux pour qui le mot « autisme » a originellement été créé, et pour qui il signifie bien plus qu'une infection bactérienne curable.
C'est con à dire, mais ce mot permet de caractériser un faisceau d'éléments qui avant le diagnostic sont souvent vécus comme des défauts personnels. Le caractère intime et atypique de ces particularismes pousse largement à les garder pour soi et à les gérer seul, parfois avec des conséquences dramatiques. Beaucoup d'autistes (principalement Asperger) se sont plus ou moins longtemps considérés comme des « erreurs », et ont développé l'estime de soi qui va avec. Le mot autisme c'est avant tout l'occasion de se rendre compte qu'on n'est pas tout seul, que d'autres partagent en partie ce fonctionnement que l'on pensait être un défaut. C'est aussi l'occasion d'apprendre à le connaître, parce que le mot permet l'échange, la verbalisation de choses qui, en l'absence de références, étaient tues. Avec ce mot, on peut expliquer aux autres pourquoi telle ou telle personne n'agit pas comme on s'y attendrait, pourquoi tel ou tel comportement ne doit pas être pris pour ce qu'il semble être. C'est aussi une possibilité de progresser: parce que l'autisme est nommé, que ses principales caractéristiques sont circonscrites, l'on est en mesure d'amener telle ou telle personne à améliorer son relationnel ou son anxiété.
Avec ce genre de reportages, les cartes sont brouillées. Les fondements neurologiques de l'autisme sont niés: nul besoin de s'intéresser au fonctionnement intérieur de personnes victimes d'une simple infection bactérienne, qui plus est curable. Dans quelques années, avec la banalisation de ce genre de confusions, que va-t-on nous dire ? « Vous êtes autiste ? Oh mais ça se soigne, je l'ai vu dans un reportage. » ou bien « Non ça n'est pas génétique. Si vous ne voulez pas vous soigner, c'est votre problème. » « Oh, autiste, mais... c'est pas une infection bactérienne ? Vous êtes contagieux ? »
Oui l'autisme régressif existe. Oui, les travaux de M. Montagnier et de ses confrères sont importants, fondamentaux même, pour guérir les personnes qui en sont atteintes. Oui, il y a des symptômes communs. Mais non, ce n'est pas la même pathologie. Les mots ont un sens ; personne ne les obligeait à employer celui-là. L'autisme est suffisamment méconnu pour qu'on n'ait pas besoin de ce genre de confusions. Mais il est vrai que comme tremplin médiatique, année de l'autisme etc., l'occasion était trop belle. Elle ne l'est pas que pour les médecins d'ailleurs: il y a un post sur ces forums à propos d'une mode qui consiste à se faire passer pour de faux autistes. L'on voit bien que l'on est en train de faire d'un handicap un produit commercial, à grand coup de désinformation, de films ridicules et de séries caricaturales, le tout saupoudré d'une espèce de « fierté d'être autiste » mal placée distillée par certaines associations.
Maintenant, question: suis-je un réactionnaire trop émotif, ou bien y-a-t-il un réel problème ?
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* On ne voit pas trop ce qui justifie que l'on mentionne la mère à cet endroit de la conversation. Sûrement une sensibilité héritée de la psychanalyse, comme:
etLuc Montagnier a écrit :Il ne faut pas forcer l'enfant à manger ce qu'il ne veut pas manger.
etLuc Montagnier a écrit :Il faut que ce qu'il mange lui plaise.
On n'est pas loin de l'A.B.A. comme technique de dressage...Luc Montagnier a écrit :Ne pas le brusquer avec des choses dont il ne veut pas.